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Le 6 juillet dernier, le festival « All Stars » du New Morning annonçait un concert historique. Démonstration faite en deux sets par Isaiah Sharkey et son groupe composé de Tim Tribitt aux claviers, Maurice Fitzgerald à la basse et Eric Johnson à la batterie. En presque trois heures, le groupe a imprimé un rythme incandescent fusionnant tous les genres dans un style singulier, irrésistible. Du blues classique au rock rageur, le son kaléidoscopique revendiqué par Isaiah Sharkey passe par la métamorphose de sa guitare et par sa voix, forgée au gospel, dont le timbre sensuel couvre toutes les tonalités soul.

Premier titre, premier indice, “Born Under A Bad Sign”, blues d’Albert King’s, dont on connaît la reprise par Jimi Hendrix sur une adaptation signée Booker T. Jones et William Bell. La rythmique clavier, basse, batterie, inflexible et intense, embarque d’emblée le public dans la matrice du son de Chicago. « I believe in vibrations », ce sont les mots de Sharkey peu avant le concert, quand on l’interroge sur le choix du mot « love » commun aux titres de ses deux albums : Love.Life.Live paru en 2017 et Love is the Key : The Cancerian Theme en 2019. Dans un sourire, il reconnaît l’urgence de maximiser l’amour universel dans le monde, dont il octroie le pouvoir à la musique, en rappelant certains des noms de l’incubateur dans lequel il a grandi : Herbie Hancock, Curtis Mayfield, Otis Redding, George Benson, Wes Montgomery, Lucky Peterson… sans oublier son propre père Michael Sharkey, ni encore Led Zeppelin. Tout en rappelant la lutte pour la vie d’un jeune homme de Chicago, « soucieux d’être protégé et de témoigner paix et amour », message indirect positif et inspiré qui se retrouve dans un morceau du dernier album « Amen ».

Prodige repéré dès l’âge de 12 ans, sideman de nombreux artistes gospel, le guitariste est passé de l’église aux clubs de jazz, avant d’être sollicité par de nombreux artistes internationaux, comme John Mayer. En 2011, il part en tournée avec le chanteur D’Angelo, dont onze concerts en Europe l’année suivante. Et c’est avec lui qu’il remporte un Grammy Award pour sa participation à Black Messiah, sorti fin 2014 et Meilleur album de R&B contemporain. Il fait également partie du collectif expérimental The Drumhedz du batteur texan Chris Dave, autre légende du hip hop, R&B ou jazz actuel, et autre famille de virtuoses passionnés qui motive la suite de son parcours. Le public du New Morning reprend les paroles de « It’s A Shame », paru sur son premier album et enregistré avec DJ Jazzy Jeff, également producteur américain connu pour sa carrière musicale en compagnie de Will Smith. Sur scène, la version s’attarde sur les vagues mélodiques passant des riffs de guitare au clavier, relayées par les balais glissant sur les cymbales. Sharkey n’ignore rien du mouvement néo-soul américain des Soulquarians, un collectif hip hop soul qu’unit également une certaine conscience politique.

Avec « Heaven », autre love song de 2017, le tempo se ralentit, respiration bienvenue pour la fièvre qui s’empare peu à peu de la salle. Juste avant que Sharkey ne retourne sa casquette sur sa tête pour « Stay », le premier titre de son prochain album dont le clip-vidéo est sorti le jour même et l’histoire d’un amour éphémère, flottant sur une mer de riffs de guitare suaves et de percussions douces, inspirée par une rencontre avec une femme sur un bateau. Un idéal amoureux qu’il semble poursuivre avec la version cool de « Sara Smile » de l’album éponyme de Hall & Oates en 1976. Le showman se dévoile au fil des titres, sourire en coin pour convaincre des paroles, « won’t you smile a while for me », avant d’attaquer à la guitare des notes en douceur, bientôt pulvérisées dans l’accélération qui galvanise la fin du titre. Et le public. Le set se clôt par une reprise du mythique « Can’t Hide Love » de « Skip » Scarborough, traversée par une douzaine de modes et de gammes, voix aérienne et guitare décoiffante, quand soudain une phrase surgit : « We’re lost inside this lonely game we play ». Et chaque musicien de consolider ensuite le groove R&B du titre de George Benson « This Masquerade ».

Le second set est encore plus implacable. Le deuxième morceau, « Pop My Toes », provient du premier album, autre déclinaison d’une relation amoureuse aux allusions coquines. Vêtu d’un débardeur sexy, Sharkey poursuit sa conquête du public. À l’exception d’un intermède blues stupéfiant en solo à la guitare, les autres titres sont des reprises mythiques tout aussi envoutantes : « I Can’t Get Over You » de Maze, « Fire and Rain » de James Taylor, « Little Wing » de Jimi Hendrix, « Beautiful Ones » de Prince. La jam R&B, jazz, funk, superpose les contrepoints déclenchant des sourires complices entre les musiciens, un son singulier, unique, se déploie. La salle toujours pleine, désormais debout et comme prise d’ivresse, arrache sans peine les rappels. Isaiah Sharkey choisit l’un de ses titres « You » avant de basculer dans une inspiration expérimentale qui balance d’Herbie Hancock à Fela Kuti, Afrobeat où gravitent le groove et le militantisme. Sur ces traces-là, le micro tenu à distance du visage, le chant devient rauque puis souffle retraçant les notes d’un sax invisible. Les sons franchissent l’espace et saisissent les esprits. Flying man ! « On en parle de ce concert ? » demandera le gardien du temple, Casa, à la sortie du New Morning. La phrase résume assez bien le niveau historique du deuxième passage d’Isaiah Sharkey et de son band à Paris en ce mois de juillet 2022. Game ouvert pour la suite, ce musicien-là a la clé !

Line up
Isaiah Sharkey (Guitare, Voix)
Tim Tribitt (Claviers)
Maurice Fitzgerald (Basse)
Eric Johnson (Batterie)

Albums
Love.Life.Live. (Major Treble Talent LLC) 2017
Love is the Key : The Cancerian Theme (SDM Entertainment LLC) 2019

Photos © Zenep Husenaj 

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