Biographie

Qui ne connaît pas les frères Belmondo ?
Héritier flamboyant de Chet Baker et Freddie Hubbard, Stéphane Belmondo, l’un de grands lyriques de son instrument, compte parmi les trompettistes les plus estimés de ce côté-ci de l’Atlantique.
Artisan infatigable du rapprochement entre les musiques, Lionel Belmondo, le saxophoniste, a fait se rencontrer les âmes de Lili Boulanger et Yusef Lateef, conciliant l’esprit coltranien avec les traditions liturgiques françaises, et portant la flamme du jazz au cœur de l’univers post-impressionniste classique.

Depuis plus d’un quart de siècle, ces deux musiciens d’exception ont mené un nombre impressionnant d’aventures musicales, avec le soutien inconditionnel de leur groupe, qui les a toujours suivis dans leurs explorations artistiques, quelle que soit la direction qu’ils leur impulsaient.

Fondé à la fin des années 1980, le Belmondo Quintet s’articule sur la paire complice formée depuis l’enfance par Lionel et Stéphane Belmondo.
Dès ses premières apparitions, sur scène comme sur disque, le groupe a imprimé sa marque dans le paysage français du jazz, en défendant bec et ongles le droit de jouer une musique intense et spirituelle, résolument acoustique, qui réactualisaient les concepts du jazz moderne développés par des artistes tels que Miles Davis, John Coltrane, Bill Evans ou Wayne Shorter.

Formé à la rude école du relevé, de l’écoute, des standards et de l’imitation, les frères Belmondo ont baigné dans la musique depuis toujours, sous l’influence de leur père Yvan, saxophoniste, impresario et pédagogue, disparu en décembre 2019.
Ils avaient enregistré à ses côtés, six ans plus tôt, en sextet l’album « Mediterranean Sound » en souvenir de leur enfance dans cette terre d’ancrage de Provence, entre Toulon et Hyères, où ils monté leurs premières formations et, de Michel Petrucciani à Thomas Bramerie, noué leurs premières amitiés musicales.

« Brotherhood » n’est que le cinquième album du Belmondo Quintet. Il marque le retour au disque d’un groupe qui, au fil d’une histoire riche et tumultueuse, a accueilli la fine fleur du jazz hexagonal et constitué un exemple pour plusieurs générations de musiciens français.

Débarquant à Paris de leur Var natal, avec leur franc-parler, leur accent, leur intensité d’action et de jeu, les frères Belmondo ont en effet participé en France, de manière fondamentale, à recentrer le jazz sur ses fondamentaux, œuvrant, avec passion et un sens de la transmission inlassable auprès des musiciens de leur génération et de la suivante, à rallumer la flamme vacillante d’une musique qui s’était parfois éloignée de son objet et de sa substance.

Formé à la sortie de l’adolescence, leur quintet a constitué le principal véhicule de cette profession de foi. Parmi les musiciens à avoir fait partie régulièrement du groupe au fil des années, on compte ainsi, dans l’ordre chronologique, les pianistes Philippe Milanta, Balthasar Thomass (devenu depuis philosophe), Henri Florens, Eric Legnini et Laurent Fickelson ; les contrebassistes Thomas Bramerie, Clovis Nicolas, Paul Imm et Sylvain Romano ; les batteurs Bruno Ziarelli, Jean-Pierre Arnaud, Philippe Soirat, Laurent Robin, Dré Pallemaerts et Tony Rabeson.

Étendue sur plus d’un quart de siècle, la riche mémoire de ce groupe innerve ce nouvel opus placé sous le sceau de la fraternité, familiale et musicale.
Si la musique est immatérielle, sa chair est faite de l’expérience et des échanges de ceux qui la créent. Elle charrie en elle le souvenir des voyages, des conversations sans fin, des engueulades et des retrouvailles, des euphories et des ratages, des élans inspirés aux disques partagés, des anecdotes et des ivresses
Cela depuis les premiers concerts dans les bars de Marseille jusqu’aux apparitions dans les plus grands festivals en passant par la rue des Lombards, l’artère du jazz parisien, dont les frères Belmondo sont des figures aimées et familières.

Le jazz a inventé cette fraternité d’hommes et de femmes qui se sont choisis comme compagnons d’aventure et d’émotion, de savoir-faire et de création.
Peu d’arts ont fourni un exemple aussi fertile et aussi novateur pour inventer des formes, élaborer à plusieurs, dans le respect de la singularité des individus sans renoncer à la puissance du collectif.

Un quintet de jazz est à l’image de ce microcosme, articulant le singulier et le pluriel, combinant les timbres et les énergies au service d’une vibration commune, associant étroitement responsabilité et liberté, confiance et prise de risque, sous le regard des pairs.

Si Lionel et Stéphane Belmondo trouvent dans ce format depuis si longtemps un espace qui leur convient — à l’image de nombres de groupes du jazz moderne, depuis les Jazz Messengers jusqu’au quintet de Woody Shaw en passant par le Jazz Lab de Gigi Gryce et Donald Byrd, les groupes d’Horace Silver ou celui des frères Adderley, le « Second Quintet » de Miles Davis, et j’en passe — c’est que s’y épanouissent la complémentarité de leurs timbres, l’intuition commune qu’ils ont développée de la musique, les tensions et les affections propres à leurs caractères contrastés, les inspirations et les influences qui les traversent depuis l’origine…
Tout un ensemble qui donne à la musique son relief et ses respirations, ses dynamiques et ses élans, perceptible dans les multiples manières qu’ils ont de s’écouter et de se répondre, dans leurs souffles confondus et leurs sonorités mêlées.

Entièrement constitué de nouvelles compositions, « Brotherhood » active la mémoire de ceux qui ont précédé et inspiré les frères Belmondo, sans pour autant s’égarer dans la nostalgie.
Lionel Belmondo se souvient que, lorsqu’il présentait de nouveaux morceaux à Yusef Lateef, avec qui les frères ont enregistré, en 2005, l’album « Influence » et mené plusieurs tournées, il ne pouvait s’empêcher d’avoir l’impression que ceux-ci ressemblaient à des choses déjà existantes et éprouvait le besoin de s’en excuser auprès de lui.
Maître Lateef lui répondait invariablement que la musique n’appartient à personne, et qu’il devait se sentir libre de s’approprier le travail des anciens pour faire avancer le sien.

C’est le propre du jazz, de s’inspirer constamment de sa tradition pour se réinventer et se remettre en jeu, d’être dans un mouvement dialectique entre son passé et son futur. Les frères Belmondo le font depuis toujours, et parle ce langage avec une authenticité qui tire sa force de la fréquentation directe des plus grands — Chet Baker, Horace Silver, Johnny Griffin, Lee Konitz, Yusef Lateef, Billy Hart, pour n’en citer que quelques-uns des héros qu’ils ont croisés, mais aussi d’autres grands anciens comme Georges Arvanitas, André Persiany, Guy Lafitte, Toots Thielemans, Pierre Michelot, avec qui, ensemble ou séparément, ils ont fait la route —  et de l’amour fraternel et sincère qu’ils leur portent.

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En hommage à ces figures d’inspiration dont l’exemple irrigue leur propre expression, ce disque présente ainsi une série de pièces dédiées à des musiciens qui ont été des figures tutélaires dans le développement du Belmondo Quintet.

Reprenant un procédé initié par Bach lui-même qui, dans l’Art de la Fugue, introduisit le fameux thème qui se base sur les quatre lettres de son nom B.A.C.H., Lionel Belmondo a écrit une série de quatre compositions sur le nom de ses inspirateurs : Wayne’s Words sur le nom de Wayne Shorter ; Yusef’s Tree sur celui de Yusef Lateef ; Letters to Evans à partir de Bill Evans et Woody ‘n Us sur le nom de Woody Shaw.

En postulant un système de correspondances entre les lettres qui composent le patronyme des musiciens et les notes de la gamme (A = la, B = si, C = do, etc.), Lionel Belmondo reprend ainsi, au profit du jazz, un principe mis en œuvre par Maurice Ravel, par exemple, lorsqu’il conçut, en 1922, la fameuse Berceuse sur le nom de Gabriel Fauré.
Il donne naissance par ce biais à des évocations étonnamment expressives de ses figures d’influence.

« Brotherhood » inclut également deux compositions de Lionel qui se rattachent, quant à elle, à la tradition française de l’orgue liturgique, notamment par leur rapport à la modalité : « Doxologie » et « Sirius ».

Pour sa part, Stéphane Belmondo est l’auteur de deux thèmes, « Prétexte », dans la grande tradition énergique du quintet, et une très délicate ballade dédiée à son père, Yvan, disparu en décembre 2019.

Porté avec entrain par la rythmique, Wayne’s Words développe sa mélodie entêtante sur des couleurs harmoniques qui rappellent étroitement l’atmosphère des grands albums Blue Note de Wayne Shorter.
Signe de cette mémoire vive, le solo de trompette est émaillé par la citation de deux jalons musicaux du XXe siècle, Stompin’ at the Savoy et l’ouverture du Sacre du Tympan, tandis que Lionel, succédant à un Eric Legnini lumineux, fait entendre un solo d’une beauté fauve, à fleur de peau, aux accents poignants et déchirés, qui rappelle quel saxophoniste flamboyant cache parfois chez lui le compositeur.

Clin d’œil au respect que Yusef Lateef portait à la nature et à la dimension allégorique des arbres, Yusef’s Tree développe une mélodie composée sur le nom de son inspirateur, et emprunte une ligne de basse qui fait écho à Golden Flute, une composition de Lateef que les frères Belmondo ont beaucoup jouée aux côtés du maître en tournée.

Tout à la fois méditative et majestueuse, comme son modèle, la pièce s’ouvre comme une forêt cathédrale, sous la voûte de laquelle résonne ensuite un bouleversant solo de ténor de Lionel, tout en retenue et concision.
Sous la danse ensorcelante des baguettes de Tony Rabeson, Stéphane Belmondo se révèle plus prolixe avant qu’Eric Legnini ne s’élance, sillonnant avec adresse entre les frappes de batterie sans jamais quitter le sillon du groove.
Dans un contrechant final habité, les frères ravivent en harmonie la présence de celui qui les appelait « Brother Lionel » et « Brother Stéphane ».

Lancé par une introduction de Sylvain Romano à la contrebasse, Prétexte, écrit par Stéphane Belmondo, rappelle tout l’amour que les frères Belmondo portent au jazz modal et à l’esprit du hard bop.
Mordant dans l’attaque et puissant dans le souffle, le solo de Lionel Belmondo chatoie de réminiscences coltraniennes, quand Stéphane déroule ses phrases aux accents funky en accroissant graduellement la tension.
Sur le délié superbe de la contrebasse, Eric Legnini garde le cap sur le swing, dont ces musiciens semblent avoir percé le secret.

Placé sous le signe de la prière, Doxologie prend des allures d’hymnes, ondulant d’un mouvement de triolet qui lui donne son allant et son caractère entêtant.
Dans ses couleurs mineures, la composition ouvre une voie introspective, entre ombres et lumières, d’abord investie superbement par Stéphane au bugle, puis avec des accents plus marqués, par Lionel au ténor qui, par une série de vagues aux échos shorteriens, tire le morceau vers des climats plus animés, à leur tour investis avec clarté et distinction par Eric Legnini.
Invitation au recueillement, le final prend des accents glorieux dans l’unisson des cuivres jusqu’au bout du souffle.

Développé en 5/4 et à partir d’une série de quartes dégagées de son nom, Woody ‘n Us est un hommage à Woody Shaw, ultime représentant d’une lignée de trompettistes qui, de Clifford Brown à Freddie Hubbard a marqué le ciel du jazz. Bouclée jusqu’à l’obsession, la ligne de basse dessine une danse étrange et irrégulière, investie par les tournoiements du soprano de Lionel jusqu’à la transe.

Également basé sur les lettres qui composent le nom du pianiste, illuminé par une superbe introduction d’Eric Legnini en solo, Letters to Evans fait écho aux influences classiques de Bill Evans, et à la manière dont elles ont innervé son talent d’improvisateur.
Souligné par l’unisson de la flûte et du bugle, la mélancolie de la mélodie donne lieu de la part d’Eric Legnini à un solo d’une grâce absolue.

Inspiré par l’étoile la plus brillante de la voûte céleste, Sirius, dédié par Lionel Belmondo à son père, se déploie dans une forme de simplicité et de distinction dues au caractère majeur de la composition mais aussi à la sérénité de la mélodie, haute et claire.
Réflexion sur l’existence et la paternité, la forme circulaire est le signe d’une permanence, troublée par les changements harmoniques et les modulations qui en altèrent la couleur.
Après les solos de ténor et de piano, la fin de la pièce se tend dramatiquement vers l’aigu, et prolonge son indétermination entre majeur et mineur jusqu’à la note ultime.

Délicate mélodie aux inflexions émues, Song For Dad, composée par Stéphane Belmondo, est une adresse à son père Yvan, dans laquelle le son du bugle s’allie à la flûte. Portés aux balais par Tony Rabeson avec une parfaite délicatesse, l’élan et l’envol du solo de Stéphane transforment cette tendre ballade en hommage touchant, aussi sincère que pudique.

Vincent Bessières

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